jeudi 8 novembre 2007

Translation

Chaque jour au bord du ciel elle se disait qu’elle devait écrire trois mots, une phrase, deux lignes, un paragraphe, tout ce qui lui passait par la tête lorsqu’elle regardait passer les gens qui allaient et venaient, toujours si affairés, semblait-il, sur les trottoirs du jour naissant, les passages cloutés, ou pour piétons dit-on, les rues, les cours, les avenues, la ville entière. Où allaient-ils si vite, si précis, avec tant d’entrain et de détermination, l’œil fixe sur un point de l’horizon fiché comme dans une cible, la mâchoire ferme, la mandibule coriace, le mollet tendu, la cuisse alerte, le pas pressé, toujours infaillibles ?
Elle, elle allait et venait, sans se presser, en goûtant les choses. L’air, pas toujours très sain il est vrai. Le soleil, musard sur les jets d’eau des fontaines, les pierres poreuses des maisons, sa vie qui de fil en aiguille, du jour au lendemain, de jour en jour, de but en blanc changeait imperceptiblement. Une fois masque. Une fois loup. Vérités et mensonges. Creusant un espace tout doucement pour prendre son tour et avoir sa place dans le tourbillon du monde, sans rester les mains vides, mais sans se faire voir à pas de chats furtifs. Survivance lointaine d’un « marche ou crève » à la mode d’un « qui va piano va sano ».
Elle se disait alors pour arrêter le temps qui court à perdre haleine, les changements irréversibles de la matière, la foule vagabonde qui la croisait en tous sens, qu’elle devait écrire chaque jour deux mots, trois phrases, cinq lignes, un paragraphe, une page ou plusieurs. Non pas figer mais retenir des passages d’instants, du fugitif déjà, de l’éphémère encore, des pépites de jours, des éclats de nuits. Pour donner une épaisseur sans pesanteur à ses pas, à sa langue, à ses phrases serpentines. Peser sans s’alourdir. Eviter la transparence apesante qui plus que plume duvet disparaissait sans retenir de sa vie parties à feuilleter d’un air distrait en pensant déjà à tous les verbes qui se bousculaient prenant formes et vies entre ses doigts nyctalopes, entre ses lèvres mouillées.


Photographie de mhaleph

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