mercredi 7 novembre 2007

Le soir

Quand le soleil descend sur la terre brune, il se couche sur l’asphalte brûlant et il attend la mort qui ne vient pas. Tous les soirs le soleil disparaît, tous les soirs il va s’étendre sur la route qui traverse la plaine immense dont on ne voit pas le bord, dont il ne connaît pas la fin. Chaque soir, il attend, des heures, suffoqué par l’odeur de poussière sèche et de goudron chaud, anesthésié par la brûlure du jour défunt, endolori par la souplesse relative de cette couche d’infortune.
Allongé sur le dos ses yeux s’épaississent de toute la nuit compacte et plombée qui tombe sur lui du ciel, sans une étoile.
Allongé sur le ventre ses yeux s’exaspèrent de la densité rude de l’asphalte dessiné de traces de pas et de sillons étroits, rides molles du jour passé, car en son temps, meuble.
Fou de la mort qui ne vient pas, indien soudain de la haute plaine dont il ne connaît pas le bout, son oreille collée à la route chaude perçoit lointaine la vibration des voix qui l’appellent, le crient, le hurlent, le supplient.
Fou de son pouvoir auquel soudain des plumes poussent en une parure de guerre, celle qu’il fait seul, en vain, allongé sur l’asphalte de ses démons nocturnes, soir après soir.
Des pleurs s’élèvent dans la nuit et, indien devenu, il rampe, écorché, pour échapper à ceux qui l’appellent. Il rampe et se perd dans les herbes du fossé qui borde la route, lente, longue, vide et morte sur laquelle jamais ne roule, ne trottine, la moindre roue, le moindre sabot.
Au bord du monde, il se noie. Et pourtant, chaque soir, perdu, il revient au bord de la route noire rubanesque qui derrière l’horizon bleu court. Et chaque soir, il s’allonge sur l’asphalte, perdu. Sans elle.

Années 80-90


Photographie de mhaleph

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